среда, 26 января 2011 г.

Marcel Hastir: entre l'art et l'engagement

Marcel Hastir, l’une des personnalités les plus illustres de Bruxelles est un peintre providentiel et discret dont la vie est indissociable d’un lieu, son atelier.Etonnante destinée : au début des années 30, cet homme en pleine fleur de l’âge, s’installe au deuxième étage d’une belle maison du quartier Léopold à Bruxelles pour y réaliser son rêve de jeunesse – une école de peinture.L’endroit devient mythique grâce à des concerts qu’il se met d’y organiser. Dix ans plus tard, en pleine guerre, cet atelier lui serve d’alibi pour y cacher de jeunes gens en danger de déportation. Une décennie de plus s’écoule : Marcel est toujours dans son atelier ou il poursuit avec brio son activité de peintre et d’un inlassable organisateur. Il y orchestre les destins les plus célèbres : Barbara et Brel trouvent leur premier public dans l’atelier de Hastir.Aujourd’hui, âgé de cent quatre ans Marcel Hastir, un sourire aux lèvres, a beaucoup d’anecdotes à livrer. Véritable amoureux de la vie, on pourrait dire de lui qu’il a tout connu. Mais il est unique dans l’art de le faire oublier parce que sa pudeur est exceptionnelle tout comme son parcours est surprenant.

La journée touche à sa fin. Il est neuf heures du soir et la lumière du jour s’est déjà éteinte. Comme tous les soirs depuis 75 ans, Marcel Hastir, a bloqué le verrou sur le coffre-fort débordant de petits tubes de peinture, a refermé d’un geste brusque les tiroirs de son bureau remplis de pinceaux, et a joint par l’interphone le deuxième étage de son atelier qui lui sert de maison pour s’assurer qu’aucun rendez-vous n’est programmé.Depuis 1935 ce centenaire occupe cet atelier situé dans un ancien manoir bruxellois style «bel-étage » qui contraste aujourd’hui fortement avec les buildings modernes du quartier européen. Après avoir donné les instructions nécessaires à son administrateur et, incidemment, lui avoir souhaité « bon vent » pour le concert du soir donné dans la salle de l’atelier, Marcel s'installe confortablement dans son fauteuil roulant et, après une pause, contemple les murs tapis de portraits peints par lui et soigneusement encadrés ; chacun de ces tableaux correspond à un souvenir précis du temps jadis.
Déjà petit, emmené partout en Belgique par son père, tapissier, Marcel rencontre les artisans bruxellois et amateurs de l’art de l’époque « ou Bruxelles brusselait », comme chantera quelques années plus tard l’invité de son futur atelier Jacques Brel. Lors de ces rendez-vous il fait connaissance avec Eugène Ysaye, célèbre violoniste et chef d’orchestre belge. Marcel se passionne alors pour la musique. Les études de violon, de solfège et de dessin le motivent pour entrer à l’école des Beaux-arts de Bruxelles. Il y fréquente les artistes et grands maîtres symbolistes du moment et nourrit ses études par les voyages : Madère, Paris, la Hongrie et les Pays-Bas. Mais c’est toujours à Bruxelles qu’il revient ou la vie artistique foisonne d’événements culturels. Il y connaîtra tous les Grands du moment : Victor Rousseau lui apprend la sculpture, Adolphe Crespin l’initie à l’art décoratif sans parler de René Magritte avec qui il sera exposé en même temps au Musée des Beaux-arts aux Pays-Bas. Lors de ses deux années de service militaire Marcel participe aux préparatifs des fêtes du Centenaire de la Belgique, décorant les chars de grands cortèges, dont l’Ommegang. Ses projets se multiplient : décors pour les jeunesses théâtrales, décoration du Pavillon de la Chimie à l’Exposition universelle de Bruxelles, etc.


Aujourd’hui, à cent quatre ans, Marcel, quasi non-voyant, n’est plus capable de lire les affiches de concerts que ses plus jeunes collèges, nouveaux gardiens de l’atelier, renouvellent toutes les semaines et disposent sur les murs de sa chambre. Il vit au rez-de-chaussée de l’immeuble dans une grande pièce avec la lumière feutrée pénétrant d’étroites fenêtres qui donnent sur la rue du Commerce dont l’adresse évoque encore aujourd’hui l’ambiance artistique trépidante qui régnait à Bruxelles. Son premier concert de musique, c’est dans cet immeuble qu’il a organisé, aujourd’hui classé au patrimoine historique de la ville. En 1933, son ancien modèle attrape la pneumonie. Pour l’aider le jeune passionné organise un spectacle musical et finance la cure de la malade. Par la suite il se lancera dans l’organisation de concerts et de conférences poursuivant la tradition des Salons du XIXème siècle.C’est également dans cette maison que Marcel se mettra dans sa quête spirituelle personnelle en se penchant pour la théosophie, mystérieuse doctrine crée par une intellectuelle new-yorkaise d’origine russe, Elena Blavatsky. En 1934 la société théosophique de Bruxelles décide de s’installer dans ce qui deviendra le futur havre de paix du peintre. Hastir y trouve les conditions idéales pour partager ses idées artistiques Et c’est là qu’il donne pour la première fois ses cours de peinture qui finissent par attirer le Tout-Bruxelles jusqu’à ce que l’appellation « chez Marcel » devienne un véritable lieu de rencontre entre jeunes artistes, peintres et musiciens. Marcel Hastir aurait-il pu seulement imaginer qu’un jour la reine Elizabeth de Belgique en personne allait poser pour lui et fréquenter son atelier ? On pourrait également mentionner la magnifique Anne Legrand, future épouse de Gérard Philippe, ou encore Laura Turner, petite-fille du célèbre paysagiste anglais. Mais les pouvoirs ésotériques de ses croyances théosophiques ne lui permettront de prévoir le début de la guerre et l’exode de 1940 qui le pousseront à se réfugier en France, à Toulouse. Embauché par le service belge des visas, il met alors ses talents de dessinateur aux services des réfugiés juifs en falsifiant des papiers d’identité. Un an plus tard, de retour à son atelier, ce sont les jeunes fuyant le service du travail obligatoire en Allemagne qu’il prend comme élèves dans ses cours de peinture. Il aide tous ceux qui risquent la déportation et son atelier sert à rédiger les tracts antinazis à l’aide de simples machines à écrire. «Je n’y trouvais rien d’héroïque,-précise-t-il,-c’était normal vu la période et les événements. Je ne pouvais tout simplement pas rester indifférent »,-confie Marcel.
Au printemps 1943 en Belgique un mot mal placé même lâché par insouciance suffisait pour risquer la déportation. Les officiers nazis se rendront plusieurs fois à l’atelier de Hastir : l’ingénieux artiste saura à chaque fois faire face sans trahir ses protégés. Peu à peu, l’atelier de Hastir devient un vrai lieu de résistance, une cache d’hommes et d’armes.Parmi ses élèves, Youra Livchitz, jeune étudiant juif fils d’un médecin russe, aménage la cave de l’artiste pour se consacrer à la préparation des opérations de sabotage. « Aujourd’hui les frères Livchitz sont des héros de la résistance mais à l’époque ils furent deux adolescents espiègles débordant d’énergie et de volonté à sauver les gens»,-se rappelle Hastir. Quand Youra et Choura ont partagé avec moi leur idée de bloquer le train de déportés pour laisser s’enfuir le plus possible de passagers, mon hésitation ne les avait guère interpellé et ils se sont jeté dans cette aventure avec toute l’ardeur de leur jeunesse».
L’opération de sabotage du XXème convoi menée par les Livchitz, devenue un des plus exceptionnels exploits de la résistance, n’a été réalisé que par une poignée d’hommes, trois ou quatre seulement, parmi lesquels Youra, un des élèves préférés de Marcel. Les jeunes résistants parviendront à arrêter le train qui emmène les prisonniers à Auschwitz. Ils aideront à l’évasion de plusieurs dizaines d’hommes, deux cent environ au total, d’après l’historien Prosper Vandenbroucke. En février 1944, dénoncé par un agent double, Youra Livchitz sera exécuté par la Gestapo en même temps que son frère, Choura.Marcel Hastir allume la vieille lanterne qui éclaire les contours de sa fidèle machine Ronéo dont il s’est servi pour modifier l’identité de ceux qu’il a sauvés. Ses souvenirs le replongent dans la période « après-guerre », la plus florissante de son atelier. De nombreux philosophes et hommes de théâtre y ont débattu de longues heures.
De multiples concerts de musique y ont connu le grand succès. La salle de concerts de l’atelier n’est pas très grande et est entourée par de nombreuses silhouettes de femmes nues peintes par Hastir sur les tableaux accrochés tout le long de la salle et dont les formes attirent immédiatement le regard. L’espace de scène, au fonds, qui fut le point de départ pour de grands artistes comme Barbara, Trenet, Brel, est aujourd’hui envahi par un ancien piano à queue d’une parfaite finition dont s’en servent pour leurs concerts les plus grands artistes européens. Au-dessus de cette salle, menés par un étroit escalier on retrouve le coin préféré de Marcel, sa cuisine dont il en a fait un abri pour lui et sa femme. Ce modeste endroit a été aménagé par les jeunes mariés en 1946, l’année de leur rencontre. Même si cette pièce touche à la spacieuse loge des artistes c’est ici que les amoureux vivront heureux jusqu’à la mort de son épouse, il y a plus de dix ans. «Humaniste et pudique», qualifie l’artiste un des administrateurs de l’atelier, M. Horst Schröder.Aujourd’hui les cours de peinture continuent mais ce n’est plus Hastir mais ses jeunes élèves qui se chargent de leur animation. L’atelier poursuit sa programmation. On compte plus de 2000 manifestations de 1935 à nos jours. Grâce aux soins attentifs de la fondation « L’atelier de Marcel Hastir » qui veille à la sauvegarde de la tradition classique de qualité l’atelier vit et respire l’air du temps moderne. Ici se rencontrent toujours les amateurs de l’art, victimes des déportations mais aussi les descendants de ceux qui ont été sauvés par Marcel pour partager leurs souvenirs avec une sérénité retrouvée. Chacun d’entre eux sait qu’il ne peut plus demander d’aide à Marcel Hastir, mais un sentiment de sécurité règne toujours dans cet atelier qui contribua à préservation d’autant de destins.


Daria Gissot-Gladkaia

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